Réglez-lui son compte, le premier San Antonio (sans trait d'union), 1949. |
Frédo tient un bistrot, puis lance les Editions de Savoie, soutenu par Marcel Grancher. Lequel ne dissimule plus ses liens avec la Résistance gaulliste. Ce qui augmente encore l’admiration de l’écrivain débutant, dont la tête tourne à force de chercher non d’où vient le vent, mais vers où il va le porter. Une demi-douzaine de titres parait sous son nom, allant du récit au conte pour enfants. Le prix Lugdunum est même attribué à Monsieur Joos, véritable hommage d’un émule doué au père de Maigret – ils ont fait connaissance et commencent à s’écrire.
Un jour, dans son caboulot, un étrange personnage apostrophe Frédéric : c’est un grand flic dégingandé, au visage avenant, à l’humour glacial, Gregory Alexinsky. Fin psychologue mais peu féru d’orthodoxie en matière de méthodes policières, ce commissaire franc-tireur impressionne énormément l’aventurier de papier. Une nouvelle initiation s’engage. A la remorque d’Alexinsky et de ses “arquebusiers” qui lui obéissent au doigt et à l’œil, le gentil Frédo explore l’envers du décor lyonnais à la fin de l’Occupation. Cadavres pas beaux à voir qu’on ramasse au matin, prostituées mutilées, pauvres types tuméfiés, passages à tabac “poussés”, enfants martyrs, femmes battues : le monde est un cloaque, c’est entendu.
Et que penser des semaines qui suivent la Libération tant attendue ? De cette “épuration” sauvage qui permet à des “résistants” de la onzième heure de s’ériger en juges expéditifs, en exécuteurs satisfaits des bourreaux sadiques de la veille ? Magnétisé par l’horreur de ces scènes hallucinantes, Frédéric Dard en déguste le déchaînement sans sourciller : ces choses-là, il faut les voir pour y croire. Avant de les transcrire, comme on vomit, sur les blanches pages de l’artisan écrivain.
Un livre rend compte de cette expérience fondatrice. Il s’appelle La Crève, et paraît en 1946, à Lyon, aux éditions Confluences – réédité en 1989 par le Fleuve Noir. San-Antonio naîtra de là, même s’il verra officiellement le jour en 1949, avec la publication de Réglez-lui son compte, signé San Antonio sans trait d’union. Cinq ans après qu’Odette ait accouché de leur premier bébé, un garçon que son père baptise aussitôt Patrice. La vie pourrait s’avérer presque belle, si seulement ces carnes d’hommes ne s’échinaient à la souiller…
Laissons maintenant Frédéric Dard avancer pas à pas sur le chemin qui mène à son immense succès. Le labeur est son guide, le langage, son moteur. La machine est en marche, elle ne s’arrêtera plus : le bonhomme s’est construit pour la servir. Les péripéties de son existence procèdent désormais de l’œuvre telle qu’elle s’accomplit. La première se veut banale – à quelques drames intimes près, elle y parviendra.
La seconde verse inopinément dans l’épopée à la française : c’est la saga des Trente Glorieuses vue d’en bas, Marianne reniflée sous ses bras, l’anti-fable gaullienne, aussi grandiose que la vision qu’en avait l’homme du 18 juin, mais en fresque difforme, en farce grotesque.
Ces extraits font partie de Frédéric Dard - Moi, vous me connaissez ?, par François Ducray, disponible à l'achat ici .
Ce récit fait aussi partie du recueil Cinq plumes françaises (Rimbaud, Apollinaire, Vian, Desproges, Dard), dans la collection Les Bios Epiques, aux éditions eFeuilles. Pour commander ce recueil, rendez-vous ici.
Ce récit fait aussi partie du recueil Cinq plumes françaises (Rimbaud, Apollinaire, Vian, Desproges, Dard), dans la collection Les Bios Epiques, aux éditions eFeuilles. Pour commander ce recueil, rendez-vous ici.
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