Pierre Desproges en majesté. |
Quelque trente ans plus tard, s’en prenant directement à Aragon, il donnera un éclairage plus personnel à cette fureur constamment alimentée en dépit de la décadence du Parti : en s’accroupissant tel un chien de garde calamiteux aux pieds de la statue de son maître Staline, en sacrifiant son génie littéraire - et ses pulsions d’homo honteux - au profit du culte de la marâtre Elsa Triolet, le poète tant admiré par le jeune homme a donc commis le plus atroce, le plus irrémédiable des crimes, celui de décevoir un ardent dévoreur de ses vers “sublimes”.
(...)
On sait les humoristes prêts à tuer père et mère pour un bon mot : par pudeur ou par prudence, Pierre choisit les siens parmi les déjà morts. L’élégant Vialatte, le bougon Léautaud, le glaçant Kafka. Peu concerné par les cours magistraux du lycée, téléguidant distraitement quelques chahuts du fond de la classe, il n’est heureux que chez lui, sur le tabouret du piano maternel ou dans sa chambre, le nez dans ses chers bouquins. Qu’il apprend par cœur, quand les gens de son âge préfèrent le cinéma ou le rock and roll. Parce que ce sont les meilleurs “pièges à filles”.
Et Dieu sait - qui ne le “tripote” pas encore ! - si pourtant, Pierre les aime, les filles. Ou aimerait du moins en aimer quelques-unes. Mais ça n’est pas facile lorsque “la jeunesse, pour moi, ça représente des boutons sur la gueule. Un malaise, une idée de malaise... J’ai été un adolescent boursouflé d’acné et d’amour raté...”
Sa première approche d’un acte sexuel lui est offerte par un garçon incapable de se résoudre à se masturber de sa propre main. Secourable mais circonspect, le jeune Desproges prête la sienne. Perturbant, non ? C’est cependant peu de chose au regard du service militaire : vingt-huit mois à se faire traiter de pédé pour non-participation aux concours de pets en chambrée ! On l’imagine bien, suant sous l’uniforme kaki et l’implacable soleil algérien, crapahutant à contresens, son sac à grenades rempli de roses des sables et de bouquins en loques, sifflant entre ses dents un refrain de Brassens.
Brassens dont l’écriture ciselée et le débit bonhomme le vengent et le consolent du chapelet d’humiliations qu’il observe et subit. Brassens qui semble à lui tout seul élever la voix, la tête, le niveau. Afin d’épingler leurs communes bêtes noires - les Institutions, ceux qui les servent, ceux qu’elles abusent - avec une truculence matoise que Pierre admire d’autant plus qu’il se croit sincèrement condamné à n’en jamais connaître le secret.
Démobilisé, en lambeaux, il regagne l’appartement douillet de la rue Godot-de-Mauroy et s’inscrit en kinésithérapie. Pourquoi en kiné ? Pourquoi pas ? “J’ai fait ça de façon complètement ignoble, sur le plan de l’honnêteté (...) Dans le seul but de m’occuper et d’avoir une raison de me faire donner à bouffer par mes parents. Je n’ai pas pensé une seconde devenir kinésithérapeute.” La science paramédicale, hébétée, y gagnera néanmoins un critique éminemment pointu “sur le plan” du langage...
Ces extraits font partie de Pierre Desproges - Pierrot lunaire, par François Ducray, disponible à l'achat ici .
Ce récit fait aussi partie du recueil Cinq plumes françaises (Rimbaud, Apollinaire, Vian, Desproges, Dard), dans la collection Les Bios Epiques, aux éditions eFeuilles. Pour commander ce recueil, rendez-vous ici.
Ce récit fait aussi partie du recueil Cinq plumes françaises (Rimbaud, Apollinaire, Vian, Desproges, Dard), dans la collection Les Bios Epiques, aux éditions eFeuilles. Pour commander ce recueil, rendez-vous ici.
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