Extraits :
C’est idiot, mais c’est ainsi : aujourd’hui, le mot poésie fait peur à beaucoup et fuir les autres. Sauf peut-être les rappeurs, qui se fraient, avec des jets de mots assénés, un passage à leurs colères. Et les publicitaires, pour qui les jeux de mots sont encore vendeurs…
Apollinaire et ses amis, portrait de groupe par Marie Laurencin (de gauche à droite : Pablo Picasso, Fernande Olivier, Guillaume Apollinaire et Marie Laurencin). |
Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours /C’est encore plus idiot, mais c’est toujours ainsi : le mot poète, lui, fait moins peur et moins fuir. D’instinct, on devine dans cette ombre qu’aucune image ne fixe, quelqu’un qui vient d’ailleurs. D’autrefois. Ou de toute éternité… Cette éternité qui gâche toujours le réel. Qu’on la nie, l’ignore ou l’implore, elle est là, bien là et elle nous emmerde. Au-delà des sciences qui l’assaillent, des religions qui la codifient, du sexe et des arts qui la défient.
Faut-t-il qu’il m’en souvienne / La joie venait toujours après la peine...
Issus du monde réel comme la poule de l’œuf, les poètes sont pourtant, envers l’éternité, nos seuls intermédiaires : avocats maladroits, amants dérisoires, suppliants pathétiques, voleurs pusillanimes, ils sont tout cela à la fois. Et pour cela, aussi négligés qu’indispensables. Or ils n’ont jamais été aussi négligés qu’aujourd’hui, donc aussi indispensables. Les idées, au moins, quand on les cherche, elles se terrent.
Les poètes, même pas : où errent-ils ? « Ailleurs », évidemment : « A Paris, chez le juge d’instruction ». Ou encore « A Marseille, au milieu des pastèques ». Ces vers, extraits d’un poème intitulé Zone, pourraient dater de cette année, scandés sur le dernier album du mutant Joey Starr. Mais Zone a été écrit en 1912, en vers libres, et ouvrira, l’année suivante, Alcools, le premier livre signé Guillaume Apollinaire. L’homme du Pont Mirabeau : « Vienne la nuit sonne l’heure / Les jours s’en vont je demeure »...
Un mutant, lui aussi. Soi-disant né en 1880 et mort en 1918 : ses jours s’en sont allés... il est resté. Un poète, c’est ça. Voici sa vie, ou à peu près : avec les poètes, ce n’est toujours la vie qu’à peu près...
Ce texte est un extrait de Guillaume Apollinaire - L'oiseau de bonheur par François Ducray, dans le recueil Cinq plumes françaises (collection La Voie Lettrée). Pour commander cet ouvrage, rendez-vous ici.